Trois pièces à l’Atelier des Lumières

Sous la conjonction de progrès technologiques et d’un intérêt affirmé de la part de studios et des artistes, le maping vidéo a fait d’immenses progrès ces dernières années. Il s’inscrit dans une double tradition : le spectacle monumental et populaire type fête des lumières à Lyon et les installations vidéos, plus resserrées et plus précises, comme on peut en voir depuis des décennies dans les galeries et musées d’art contemporain. Marier les deux  est le projet de l’Atelier des Lumières, qui a ouvert cette année à Paris, dans le 11ème arrondissement. Avec sa première exposition, où se succèdent trois oeuvres dont la première est  consacrée à Klimt, le pari semble réussi.

L’ancienne fonderie de Paris est un lieu aux volumes impressionnants. Une salle immense est structurée autour de différents espaces, délimitée par des piliers et complétée d’une mezzanine où le spectateur s’extrait un peu du spectacle mais profite d’une impressionnante vue d’ensemble. Le spectacle comprend trois oeuvres : une première pièce sur Klimt, prolongée par Hundertwasser, membre de la sécession de Vienne et suite logique de la première. La troisième, Poetic_AI du studio Ouchhh, plus contemporaine,  plus osée et plus austère, offre un contrepoint expérimental heureux aux deux premières et rappelle qu’en art vidéo immersif, tout est encore à inventer.

Klimt, la star incontestée de l’exposition

Hundertwasser, sa suite logique

POETIC_AI , un autre langage graphique

Du point de vue du spectateur, c’est tout simplement magique : vivre tout autour de soi la transformation d’un espace en un univers aussi graphique et aussi puissamment symbolique que celui de Klimt est une expérience exceptionnelle, encore approfondie par un enchaînement musical incontestablement efficace. On évolue au milieu des formes, des couleurs, on chasse les détails. Chasse vaine, d’ailleurs, perdue d’avance. Détourne t-on le regard quelques secondes quelque part que quand on le ramène tout a déjà changé. Les enfants courent partout. On se balade dans le spectacle comme un chasseur de papillons. On ne les attrapera pas tous, loin s’en faut. Ce n’est pas grave, on reviendra.

 

Une réussite incontestable de l’Atelier Lumière, mais qui m’a inspiré trois réflexions :

 

  • J’ai eu de la peine pour ces gens, nombreux, qui ont vécu l’expérience en tentant de la filmer avec leurs smartphone. Ils m’attristent déjà dans les musées mais bon, un visiteur peut très bien regarder et apprécier une toile puis la photographier, façon carte postale du pauvre. Dans le cas d’un spectacle immersif comme celui de l’Atelier Lumière c’est impossible, puisqu’il s’agit d’un spectacle et pas d’une oeuvre fixe. En sortant du monumental exceptionnel pour se rabattre sur l’écran étriqué et archi connu de son smartphone, on sort de l’expérience. Et pourquoi ? pour le plaisir de partager sur Facebook une expérience qu’on ne s’est pas réellement donné les moyens de vivre ? L’art numérique, c’est aussi un besoin d’éducation.

 

  • Chaque oeuvre se termine par une soupe de logos de partenaires institutionnels et d’industries mécènes. C’est ça l’art contemporain aujourd’hui en France : les oeuvres les plus ambitieuses sont le fruit d’un millefeuille administratif et d’opérations d’optimisations fiscales de groupes du CAC 40. Ce n’était pas plus brillant du temps des Médicis, certes. Mais force est de constater que sur ce point la société n’a pas du tout progressé.

 

  • Enfin, pour magistrale qu’elle fut,  l’expérience ne raconte pas grand chose. Plongées dans les univers d’artistes pour les deux premières pièces, réflexion sur le média lui même pour la troisième. On est dans de l’art qui parle de l’art et juste de l’art. C’est l’état actuel des choses et mettons que pour son lancement, le choix de l’Atelier Lumière soit un choix sage. Mais on attendra davantage des prochains spectacles. Au delà des prouesses artistiques et techniques, il faudra prendre des risques.