Pourcoursup ou les impasses de l’idéologie méritocratique

« Vous qui entrez ici, laissez toute espérance »

Vingt-huit mille six cent quatorzième place. Il est bien révolu le temps où l’on voulait éviter le caractère exagérément comparatif et faussement précis de la notation sur vingt, remplacée par les fameuses lettres A B C D E, et où on tentait au moins de justifier vaguement le principe de la notation par l’utilité supposée de l’évaluation des savoirs acquis comme instrument d’adaptation des pédagogies. Bas les masques ! Dorénavant, non seulement on avoue que ce que l’on souhaite c’est bien que les jeunes soient jugés et sélectionnés, mais encore on veut leur faire connaître leur position exacte par rapport à celle de tous ceux qui dans la France entière prétendent à suivre les mêmes études qu’eux. Vingt-huit mille six cent quatorzième c’est moins bien que vingt-huit mille six cent treizième, et c’est mieux que vingt-huit mille six cent quinzième.  À chacun son numéro d’ordre dans la grande liste qui justifie l’ordre social, et au bout du compte, les ordres, donnés par les uns auxquels il faudra se soumettre pour les autres.

Bientôt le grand retour de la remise des prix, et pour les plus méritants, la toge et le mortier… Comment ça j’exagère ?  Mais non ! pas du tout : l’américanisation ultra-conservatrice de la société française se poursuit, et beaucoup d’établissements d’études supérieures en France s’y sont mis depuis une dizaine d’années, comme en témoignent des articles récurrents sur le sujet dans la presse.

Les algorithmes de Parcoursup mettent en œuvre un idéal de société dans laquelle émergent quelques vainqueurs affranchis d’ISF, et dans laquelle s’amoncèlent des centaines de milliers de vaincus dont la défaite est délibérément programmée pour justifier qu’ils exécutent des besognes pénibles, des tâches subalternes, qu’ils ne décident de rien dans leurs vies, eux qui ne sont rien et qui ne valent rien, pour justifier qu’ils soient mal payés, mal traités, moqués, méprisés.

La mesure de l’échec

Plus important encore, il s’agit de mettre au point un système pour faire mesurer aux adolescents toute la profondeur de leur échec. Car il ne suffit pas de les voir perdre, il faut les écraser. Avant même le rituel annuel absurde et coûteux du baccalauréat, il faut qu’ils soient pleinement conscients du caractère dérisoire de cet examen qui ne leur ouvrira pas les portes espérées, et qu’ils puissent se sentir mauvais, honteux et salis. Il importe qu’ils soient humiliés afin d’être ensuite plus facilement exploitables.

Est-ce à dire que les adultes veulent imposer dès le plus jeune âge le principe de la concurrence brutale dans laquelle ils acceptent de se retrouver eux-mêmes plongés ? Non, sans-doute. La plupart se sentent collectivement responsables de tous les enfants, et favoriser trop ouvertement de l’agressivité entre eux serait malvenu. Les plus jeunes doivent, en apparence au moins, avoir des chances égales, et ce pour pouvoir justifier les inégalités futures en faisant voir ces dernières comme la conséquence de leurs mérites respectifs.

Alors à Provins, en Seine et Marne, suivant les aspirations exprimées par le ministre de l’éducation nationale, les parents d’élèves ont voté à une très large majorité pour le port de l’uniforme à l’école élémentaire. Ainsi, l’origine sociale est-elle abolie, croit-on, et la fameuse égalité des chances mise en place concrètement… Et puis ce sera l’occasion, aussi, de lutter contre l’insolence favorisée par les attitudes trop originales, de restaurer l’autorité contestée, et de souder les élèves dans un corps social qui préludera à leur attachement à l’entreprise où l’uniforme sera pareillement de rigueur.  

Promouvoir l’égalité

Contrairement aux idées reçues, notre société ne favorise pas la personnalité et l’autonomie. Si elle nous individualise, c’est pour stimuler notre agressivité les uns contre les autres dans une compétition permanente, et à la condition que nous soyons tous conformes au modèle institué comme norme. Alors que c’est tout le contraire qu’il faudrait faire : promouvoir la solidarité, le partage et l’égalité, et encourager le développement de la personnalité et la liberté d’inventer sa propre vie.

Aussi, après un an de mise à l’épreuve, le macronisme apparaît désormais pour ce qu’il est vraiment : une continuation du sarkozysme. L’idéologie est fondamentalement la même. Il s’agit de justifier les inégalités sociales en les attribuant à un supposé mérite.

Or, les résultats scolaires ne mesurent pas bien la capacité à se poser des questions, à faire preuve de créativité, d’esprit critique, d’intelligence et d’innovation, mais essentiellement l’aptitude à répondre de manière conforme aux attentes de l’institution. Tout décalage est sanctionné. Aussi, le mérite mesuré par l’école ne traduit-il qu’un aspect très incomplet de notre travail et de nos compétences.

Et même si le mérite correspondait à une certaine réalité, en quoi  justifierait-il que les jeunes humains soient traités différemment les uns des autres, et que certains soient exclus des études qu’ils souhaitent mener ? Même si – les sociologues démontrent l’inverse – l’égalité des chances existait, serait-ce une justification pour que les uns asservissent les autres dans un système social de domination et de soumission ?

Nous ne voulons pas de l’égalité des chances, nous voulons l’égalité tout court.

En tant que pirate, je suis, bien sûr pour le partage des savoirs, pour le partage des techniques, et à titre personnel, je suis par conséquent favorable à l’ouverture à toutes et à tous de toutes les écoles d’enseignement supérieur ; car je suis convaincu qu’il n’y a rien qui ne puisse être appris et maîtrisé à un très haut degré d’habileté par celui et par celle qui le souhaitent sincèrement.  

Olivier Soares Barbosa

Parcoursup, la nouvelle méthode d’admission dans l’enseignement supérieur exclut pour cette rentrée 2018 environ 60 000 jeunes dont la plupart ont désormais quitté la plateforme, abandonnant tout espoir de trouver une place parmi les autres étudiants.

https://www.lemonde.fr/education/article/2012/05/29/la-remise-de-diplomes-a-l-americaine-le-retour-de-la-solennite_1708239_1473685.html

https://www.lemonde.fr/campus/article/2016/07/13/a-l-universite-toges-et-toques-sont-de-nouveau-de-sortie_4968644_4401467.html