Pour notre plus grande indifférence

Le grand débat se termine, pour notre plus grande indifférence. Originellement conçu comme un contre feu aux gilets jaunes, il n’aura jamais fait illusion. Un temps pressentie pour l’arbitrer, la présidente de la commission nationale du débat public Chantal Jouano a claqué la porte dès les premiers jours . Le cadrage de questions qui ne dérangent pas aura rapidement désillé même les plus naïfs : il ne s’agissait que d’une opération de communication du gouvernement dont on ne retiendra que les images d’un Emmanuel Macron en bras de chemises enchaînant des débats/meetings fleuves sous les commentaires enamourés d’une presse fascinée par les qualités oratoires très top down d’un président redevenu candidat.

Prenons donc acte de ce qui ne fut même pas un échec démocratique puisqu’à proprement parler il n’y eut pas tentative. Et posons nous la seule question qui vaille : comment aurait on pu procéder pour que le débat soit un succès ? Ou alors : comment vivre un véritable moment de démocratie réelle à l’échelle du pays ?

Misère d’un débat sans enjeux

Premier point : les enjeux. S’il ne s’agit que de porter une doléance au souverain avec la certitude qu’au final il n’en fera que ce qu’il voudra, alors il ne s’agit finalement que d’une forme de sondage. Chacun va y aller de ses problèmes catégoriels – trop d’impôts pour les uns, baisse de la vitesse de circulation pour d’autres, etc. Si l’enjeu est réel, la question devient celle d’un changement de société : dans quel monde veux tu vivre ? Que veux tu pour tes enfants ? Alors le débat peut prendre une toute autre dimension.

Deuxième point : la mise en commun et l’organisation. Non, une opération qui se termine par un tas de 152 477  propositions atomisées n’est pas un succès. A un moment donné, ces propositions auraient dû se rencontrer, s’opposer, fusionner, faire des compromis. Se consolider, en quelque sorte, sur le modèle de la démocratie liquide qui ne fonctionne jamais aussi bien que quand elle cherche le consensus et produit de l’intelligence collective. 

Troisième point : l’accessibilité. Cela vaut à différents étages. Le Grand Débat n’aura été finalement utilisé que par un sociotype extrêmement défini  et il ne pouvait en être autrement. De plus, la plateforme choisie, avec son code fermé et ses process opaques n’avaient rien pour susciter la confiance. Au final, confier la synthèse de dizaines de milliers de productions humaines à un algorithme complexe, qu’est ce que cela veut dire ?

Juge et partie ?

Quatrième point : peut on sérieusement être juge et partie ? Un Grand Débat a t-il des chances de remettre en cause la politique du gouvernement s’il est cadré par cinq ministres de ce même gouvernement ? A ce titre, le show d’Emmanuel Macron face à un parterre d’intellectuels flagorneurs restera dans les annales de la cuistrerie politique.

Pour les pirates qui travaillent sur ces sujets depuis des années, il ne fait aucun doute que les outils numériques ne suffisent pas à faire de la démocratie participative. Le Grand Débat aura au moins eu le mérite de permettre de démontrer par l’exemple et à grande échelle que nous ne pouvons pas faire l’impasse d’une réflexion de qualité sur la démocratie participative.