L’utopie déchue – une contre histoire d’internet

C’est un livre qui dérange. Enfin, qui dérange quelques personnes. C’est un livre qui me dérange, moi, et qui vous dérangera peut-être aussi, ami lecteur. C’est un livre qui  doit déranger les pirates parce que c’est un livre qui parle de notre échec à nous qui sommes les héritiers et les promoteurs de l’idéal d’un internet émancipateur.

Félix Tréguer est membre fondateur de la Quadrature du Net. Il est chercheur au CNRS et sociologue. Et son « Utopie déchue » marque avant tout par la qualité de ses recherches. Il fait démarrer l’histoire d’internet à Gutemberg – ce qui est plutôt rigolo – et articule son récit sur quatre mouvements de balanciers chronologiques et qui s’interpénètrent les uns les autres :    

1) La genèse, nous mène jusqu’à la naissance de l’informatique et des mass media en passant par celles de la presse et de la liberté d’expression.   

2) L’informatisation, avec la guerre froide, l’extension du capitalisme et les utopies hippies,    

3) La subversion, qu’il fait démarrer aux premiers grands faits d’armes hackers des années 80 et qui s’achève avec le retour en force de l’état sécuritaire suite au 11 septembre    

4) La reféodalisation qui voit la victoire d’une épouvantable alliance Etat / Plateformes numériques sur les mouvements subversifs des origines d’internet et la transformation du numérique en un monstre sécuritaire auquel « Staline n’aurait pas rêvé ».     

On pourra reprocher un côté un peu mécanique à cette enchaînement de séquences mais le fait est que les faits analysés, des plus récents aux plus anciens, sont bien documentés et le propos est très convaincant. Les anecdotes croustillantes ne manquent pas et Félix Tréguer écrit bien : ses trois cent pages parfois techniques se dévorent et on serait tentés d’en redemander si l’auteur nous avait gratifié d’un happy end.

Il n’en est rien. Sa conclusion est sans appel, radicale, et, finalement, franchement culotée. Il faut débrancher les ordinateurs. Point à la ligne.

Pour nous pirates, qui militons par et pour un internet émancipateur, cela sonne comme un défi. Serons nous capable de relever le gant et de fabriquer un autre possible, une cinquième étape à venir, qui suivrait la période peu reluisante que nous sommes en train de vivre ? Ou devrons nous prendre acte d’un échec, qui n’est finalement pas que celui d’internet, mais celui de toute la civilisation humaniste qui démarre avec Gutenberg ?