L’étrange discours de la maison de l’amérique latine

Qui est l’auteur de la citation suivante ? « Je vous déclare ici en présence de cette assemblée et devant tout le peuple, que j’assume à moi tout seul la responsabilité politique, morale et historique de tout ce qui est arrivé… » A t-elle été prononcé le 24 juillet par Emmanuel Macron à la maison de l’Amérique Latine dans le cadre de l’affaire dite Benalla ? Non. Elle est extraite du célèbre discours de Rome de Benito Mussolini à la suite de l’assassinat du député Matteotti, le 3 janvier 1925.

On pourra nous reprocher de toucher ici rapidement au point Godwin. Tant pis. Assumons. Le fait est que le parallèle des deux speechs est troublant. On se situe dans les deux cas dans un contexte politique de plus en plus violent et dans les deux cas un cap important a été franchi. Dans les deux cas, la population s’émeut, il y a comme un sursaut. Dans les deux cas, pour sortir de la crise, le chef siffle la fin de la récré, il bombe le torse. Virilement, il prend sur lui.

“S’ils veulent un responsable, il est devant vous. Qu’ils viennent le chercher. Je réponds au peuple” Cette fois ci la citation est d’Emmanuel Macron qui renvoie la presse, l’opposition parlementaire et les associations politiques et citoyennes dans les choux. Le chef comme émanation du peuple. Rien entre le peuple et le chef. Une fois de plus, difficile de ne pas assumer le point Godwin.

Concédons deux nuances de taille. D’une, il n’y a pas eu meurtre le 1er mai 2018. Signe des temps : si la répression policière et la violence politique se sont fortement aggravées ces dernières années, elles n’ont pas encore atteint le niveau des années 20. Ou du moins, pas systématiquement, bien qu’une comptabilisation précise des violences policières pourrait surprendre. Raison de plus pour réagir tant qu’il n’est pas trop tard. De deux, alors que le Duce revendiquait crânement le meurtre de Matteotti, Emmanuel Macron se plaint d’ “une déception, une trahison”. Le pauvre chat.

Ce faisant le président de la république se pose en victime de l’affaire. Et nous noterons que pour les deux victimes réelles, l’homme et la femme qui se sont fait tabasser par son sbire, il n’a juste pas un mot. Il ne condamne pas l’acte. Juste le tort que l’acte lui cause à lui. Et dont finalement il entend tirer un substantiel gain jurisprudentiel : toute épreuve qui ne vous tue pas vous rend plus fort, n’est ce pas ? A la suite du discours de Rome, Mussolini obtenait les pleins pouvoirs en Italie…

Difficile, après l’épisode de la maison de l’amérique latine, de ne pas accorder crédit à la thèse de Lordon qui relie extrême droite et néo-libéralisme. Nous, pirates, n’avons eu de cesse d’alterter sur les dérives sécuritaires et policières qui se sont aggravées puissamment depuis l’état d’urgence et la répression des manifestations contre la COP 21 le 29 octobre 2015.

Si l’exécutif passe la crise au seul prix du sacrifice du soldat Benalla, alors une étape importante sera franchie. Les deux assemblées seront plus discréditées que jamais, avec les enquêtes parlementaires qui ont viré au sketch. Enfin rappelons que du scandale réel, le tabassage de deux manifestants par un sbire de l’Elysée, il n’ est juste plus question. Si ce scandale devient la norme, le hors norme étant que le sbire n’a pas la bonne accréditation, que restera t-il des libertés et de la sécurité des français ?