Les Furtifs

Ecrire sur “Les Furtifs”, roman de 700 pages d’Alain Damasio publié le 18 avril aux éditions La Volte, cela implique de faire des choix. On pourrait traiter de sa virtuosité stylistique. De l’originalité et de la finesse psychologique des personnages. Des exceptionnels talents narratifs de l’écrivain, qui vous tient en haleine malgré un  propos dense et souvent exigeant. Ou de sa savoureuse créativité langagière, sa capacité à fusionner les mots ou les slogans comme autant de friandises ludiques et porteuses de sens. Mais sur Bonny & Read nous nous bornerons à dire  pourquoi “Les Furtifs” est simplement une bible indispensable pour tous les pirates.

L’action prend place dans les années quarante. Deux mille quarante. Il faut croire que Macron est parvenu à terminer son mandat puisque tout est privatisé. LVMH a racheté Paris. Warner a racheté Cannes. Orange a racheté… Orange où débute l’histoire. Les citoyens sont “bagués” (savoureuse trouvaille), ce qui leur permet de profiter de tout un tas de services personnalisés. Quand ils en ont les moyens, ils chaussent des lunettes de reul (Réalité Ultime) qui leur permet de ressusciter les être chers et d’évoluer dans un univers sans aspérité. 

“Les Furtifs”, le “Black Mirror” de la science fiction française ? Oui mais pas seulement car Damiaso a plus d’envies et d’ambitions que Charlie Brooker. Face à l’ordre établi, les rebelles, les contestataires et autres zadistes ont aussi fait de sacrés progrès depuis Notre-Dame-des-Landes. Pirates et hackers forcent les murailles numériques du système. Des commandos investissent des résidences de luxe et y tiennent des sièges dans des ambiances de rave-partys festives. Des “proferrants” continuent à éduquer les déshérités au péril de leurs libertés car  l’acte même d’enseignement soit devenu propriété et monopole d’une grande firme. Bref, tout n’est pas fichu. Car, surtout… Les furtifs.

Ils sont à la fois le sujet et les personnages principaux du roman éponyme. Et ils ont avant tout valeur de symboles. Comme souvent avec Damiaso, diablement polysémiques. Dans la lutte finale qui oppose les partisans de la liberté et ceux de l’ordre, la question de leur survie interroge le devenir de l’humanité. Saura t-elle se réinventer et se dépasser ? Ou s’enfermera t-elle dans un panoptique cauchemardesque, confortable et stérile ?

“Les Furtifs” est un livre sur la lutte, sur la lutte d’aujourd’hui. Ce n’est pas pour rien que Damiaso soutient les Gilets jaunes . Son livre donne envie de résister, de se battre et d’inventer de nouvelles façon de le faire. D’inventer aussi de nouvelles façons de vivre ensemble, une nouvelle politique.