Le quart d’heure de célébrité n’était pas sensé devenir la norme politique
À grand écran, petit temps de parole. À propos des débats télévisuels

La télévision naquit sous Mon Général. Qui la trouva bien petite mais su l’adopter, par exemple en 68 où, assis et seul, il convoquait ses soutiens dans la rue et dans les urnes. On vit en gros plan sa mine en 69 : la démocratie grandit alors car Mon Général quittait le pouvoir suite à un vote. Les élections de 1977 et 1978 connurent une focale plus large, le changement s’annonçait par les locales. On passait en couleurs mais sur des écrans guère plus grands : il fallut importer du cinéma le split screen pour suivre l’innovation politique qui courait du studio aux places municipales, car l’élu local accédait à l’écran. Le Drian par exemple commença là sa longue carrière de politique professionnel, de l’écran d’FR3 à aujourd’hui ceux des drones tueurs.
La télévision flirta avec le monde numérique exactement, mais rapidement, en mai 1981 où l’on vit s’écrire avec stupeur les lignes Minitel les plus célèbres de la télé. Mais la couleur s’imposa bien vite de préférence aux forums et aux écrans verts, les jingles retinrent bien plus l’attention que la musique des modems. Dommage. La pub sut plaire et ainsi naquirent Tapie et Gainsbarre. Les politiques apprécièrent cette langue d’argent et il se ruèrent à des stages d’appropriation de leur image car il y avait de la place : ce fut l’apogée de la TV, se multiplièrent comme à Cana chaînes et programmes. De l’image à la langue de pub, il n’y eut plus qu’un petit pas : un nombre incroyable de Rubicons furent franchis à l’aide de petites phrases et de punchlines. La démocratie se musclait, disait-on.

Alors Le Pen gagna à être connu car les courts mensonges répétés devinrent plus difficiles à combattre que les lénifiants discours d’antan. Le banc-titre remplaçait les gros titres, le bandeau déroulant alertait en permanence.
Nous attendions comme une finale de foot le débat du deuxième tour de la présidentielle et nous nous habituâmes aux soirées électorales avec des plateaux à six ou huit invités, eux passant d’ailleurs par magie d’une chaine à l’autre. Nous, nous zappions alors sur Canal où une toute nouvelle histoire politique se racontait, chaque soir, aux Guignols. Nous en parlions dans le réseau social de la machine à café.

Puis les écrans s’agrandirent subitement avec les technologies LCD et plasma, la définition de l’image grimpa en flèche jusqu’à l’HD, les chaines se mirent en bouquets et en boxes qui imposèrent le zapping permanent : si les Guignols disparurent, on vit soudain des débats télévisuels chronométrés alignant parfois une bonne dizaine de candidats dans des décors dignes des plus grands jeux télévisuels. Ils étaient mis en images à grand renfort de jingles, de ralentis et de mouvements de Luna, exactement comme au cinéma. La politique passait cette fois à l’action !, et sur des télés d’un mètre cinquante de large !

Ainsi pourrions-nous mettre en parallèle la croissance de la taille des écrans télé et la vigueur de la démocratie, jusqu’à en tirer cet axiome : Télé plus large, plus de candidats ; chaines nombreuses, démocratie heureuse.
Il n’en est rien. Car d’autres forces sont à l’œuvre, et les plus vieilles d’entre elles, voyons Chomsky. En fait, plus l’écran est plat, plus la démocratie est à plat… Il y donc du vain à s’indigner que 34 candidats ne passent pas dans l’écran géant : la logique est viciée et la foire d’empoigne pour quelques secondes à l’image tourne cette fois au grotesque. Le quart d’heure de célébrité n’était pas sensé devenir la norme politique.
Sans rester derrière ou devant l’écran, les démocrates se tourneront donc vers d’autres combats, d’autres solutions. Au premier plan d’entre elles, la discussion de proximité, l’exemple individuel et l’appropriation d’idées. Ensuite la volonté de réclamer, de multiplier et de pérenniser des formes de démocratie locale en s’y investissant. Aussi par le dévoilement de toute la corruption, de toutes les petites corruptions qui gauchissent la morale et droitisent la République. Enfin par l’expression haute et tenue de valeurs humaines : ce sont elles qui font à nouveau bouger le citoyen.