La victoire des vaincus

Il est rare qu’un livre colle de si près à l’actualité : publié en janvier, après deux mois de crise des gilets jaunes, “La victoire des vaincus” d’Edwy Plenel suit de si près les événements qu’il réussit à en faire partie. Gageons que le fondateur de Médiapart n’a pas passé de vacances de Noël bien reposantes.

C’est toujours la gageure de ce type de bouquin que de nous apprendre quelque chose qu’on ne sait pas déjà pour avoir lu la presse. Quand il a un scoop, Plenel le réserve à ses abonnés, auxquels il ne cache pas grand chose. Alors que mettre dans ce livre qui n’ait pas déjà trouvé sa place dans les colonnes de Médiapart ?

L’imposante culture du bonhomme le sauve de l’écueil de la redite. Culture déjà pas mal galvaudée quand il convoque Gramsci. Mais culture vivante, originale et précise lorsque Plenel brosse des parallèles entre notre époque et les premiers mois de la deuxième république, cette grande oubliée des manuels scolaires. Les jeux de miroirs historiques ont leurs limites quand il s’agit de comprendre le présent mais enfin, dans les trahisons des masses par des élites dites progressistes et dans la brutalité de la répression de juin 48, il est difficile de ne pas reconnaître notre actualité brûlante.

Resituer la séquence “Gilet jaune” dans la séquence Macron et la séquence Macron dans la séquence 5ème république est utile du point de vue pédagogique mais un peu ennuyeux pour un lecteur un peu aux faits de ces choses. Montrer à quel point l’affaire Benala – dont les tenants et les aboutissants n’ont pas fini d’être tirés au clair – constitue le point de bascule hubristique du mandat Macron et annonce pleinement la crise des gilets jaunes permet de mettre des mots et des faits à ce qui, finalement, restait à l’état d’intuition. C’est sans doute églement la part la plus utile du livre d’Edwy Plenel.

J’en retiens une autre, la théorie des trois violences de l’évèque brésilien Helder Camara, si utile pour déconstruire un discours médiatique effrayé par l’incendie du Fouquet’s et totalement insensible aux violences sociales :

« Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés.

La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première.

La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres.

Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »

Le livre de Plenel, au final, nous rappelle quel peut être le rôle d’un intellectuel dans notre société médiatique. Aider à réfléchir et non simplement servir la soupe à un pouvoir présidentiel en mal de légitimité intellectuelle.