La société coopérative 3.0 : réponse de Jean-Marc Rogier

A la suite de notre article sur « La société coopérative 3.0 », Jean-Marc Rogier, auteur du livre, a voulu apporter des précisions.

Pour donner suite au billet sur la société coopérative 3.0, je voulais apporter quelques éléments afin d’éclaircir mon propos. Si j’ai retenu la coopération, c’est parce qu’elle porte une régulation positive, complémentaire de la concurrence. Je m’inscris alors plutôt dans une démarche proudhonienne que marxiste, c’est-à-dire insistant sur la capacité d’association des individus. Une proximité avec l’éthique anarchiste, qui porte l’idée d’un ordre propre à l’entraide qu’il nous appartient de développer.

De surcroit, la coopération offre une perspective intéressante puisqu’elle permet d’aborder le numérique en insistant sur l’intérêt de cette technologie plutôt que sur ses dérives. La réappropriation du terme coopération permet au passage de critiquer le modèle collaboratif et les plateformes qui vont avec.

Cette réflexion s’appuie sur des références économiques mais concerne avant tout nos rapports sociaux. De mon point de vue, coopérer repose sur le développement d’institutions à même de définir le périmètre d’un commun, celui de nos savoirs. Au fond, le numérique permet d’amplifier notre capacité à nous relier et ainsi contribuer à ce projet ancien d’une société plus solidaire. Il y a alors deux idées que je défends dans cet essai.

Pour une identité numérique

La première concerne la propriété des données numériques, celle-ci ne peut être qu’inclusive puisqu’on invite toujours quelqu’un à partager des informations. Pour cela, il nous faut une identité numérique, distincte de nos identités citoyennes, indispensable à une reconnaissance de nos échanges immatériels. A ce titre, je ne crois pas que l’anonymat soit la solution mais bien le problème des excès actuels, servant les intérêts commerciaux en créant des asymétries fortes entre les entreprises et les individus. Nous avons à militer pour une nouvelle citoyenneté, porteuse de territoires internationaux et culturels. Un droit à l’existence qui nous reconnait comme auteur, contributeur permanent d’informations, producteur de compétences plutôt qu’éternel consommateur.

Un nouvel espace de valeurs

La seconde concerne la mesure de ces échanges, je suis convaincu que toute critique du capitalisme doit d’abord définir la présence d’un nouvel espace de valeur. Car il ne suffit pas d’interdire la brevetabilité du vivant ou réduire la durée des droits d’auteurs, il convient de proposer un chemin où l’individu peut récupérer un pouvoir d’initiative. Pour cela, nous devons investir le sujet des monnaies digitales afin de développer des mesures propres aux échanges immatériels, ceux qui ont pour conclusion un partage. Nous ne pouvons disposer d’une même unité de mesure pour les marchandises et les informations. C’est en nous réappropriant des monnaies plus démocratiques que nous pourrons réduire la domination d’une monnaie marchande unique.

Voilà en substance ce qu’il y a dans ce livre, il manque d’exemples, pourtant il épouse ce que nous vivons au quotidien face à un capitalisme qui s’empare du numérique à la place de chacun d’entre nous. En ce sens, je rejoins complètement le billet, la balle est dans notre camp. Car la démarche politique qui s’appuie sur le numérique ne doit pas se tromper de combats.

Au plaisir de partager avec des lecteurs.

Jean-Marc Rogier