La révolution sera féministe ou ne sera pas

“Ele Nao”, les brésiliennes contre l’extrême droite.

Le 29 septembre 2018, j’étais dans la rue. Moi et des centaines de milliers de femmes sont sorties manifester dans 140 villes brésiliennes et du monde pour crier « ele não » (pas lui). Le « lui » en question c’est le candidat en tête pour l’élection présidentielle au Brésil, Jair Bolsonaro, ancien militaire, député depuis 30 ans, conservateur, croyant et libéral. Ah, oui, et misogyne, homophobe et raciste. Bref, le parfait candidat d’extrême droite, qui ferait Jean-Marie Le Pen passer pour un petit papy qui perd la boule et est un peu méchant, parfois. Face à ce nouveau Adolf – le point Godwin maintenant, comme ça c’est fait, c’est plus à faire -, des gens de la gauche classique et radicale, mais aussi du centre et centre-droite, se sont rassemblées pour crier à l’unisson « ele não, ele não, ele não não não » en reprenant l’immortelle Bella ciao.

Dans ce rassemblement historique, l’ennuyeux débat entre gauche et droite laisse la place à une question de fond qui dépasse les arguments économiques, sécuritaires, environnementaux et sociaux. Car quand un homme politique dit à une autre députée : « je ne vous viole pas car vous êtes trop laide » ; ou qu’il préfère avoir un fils mort à un fils homosexuel ; ou que ses enfants sont bien élevés et ne sortiraient jamais avec une femme noire ; ou quand il dédie son vote à faveur de la destitution de Dilma Roussef (ancienne présidente et victime de la violence policière lors de la dictature militaire) au Coronel Brilhante Ustra, tortionnaire connu de centaines de brésilien.ne.s ; là, ce n’est plus une discussion de programme économique : c’est une question de tolérance. C’est légitimer ce comportement et les effets néfastes qui en découlent à l’échelle d’un pays.

Ce genre de discours ne peut pas être traité comme un petit détail, quelque chose non relevant à côté des « vrais problèmes », comme le chômage ou le pouvoir d’achat. Car la violence, l’homophobie, le machisme, la ségrégation raciale et sociale SONT DES VRAIS PROBLEMES. L’intolérance, surtout quand exposée et vantée de cette manière grotesque, ce n’est pas une opinion. C’est un crime. Quand un candidat à président s’exprime de cette façon, il n’exprime son avis, il valide une pensée criminelle. Et vous pouvez imaginer les conséquences s’il est élu.

Sauver le Brésil de “Tout ça”

Car un personnage comme Bolsonaro prend les airs d’un messie pour sauver le Brésil de « tout ça » – concept à géométrie variable qui peut englober la corruption, le PT – parti de Lula, l’immoralité, la dictature gay-féministe, la crise, la horde d’assistés qui plombent le budget, le laxisme, etc – en mêlant austérité économique et (fausse) morale. Donc on accepte son caractère agressif car, chez un homme, c’est la preuve qu’il a l’autorité pour prendre les rênes. Il surfe aussi sur la vague ni-ni-ni : ni PT, ni PMDB, ni PSDB : les grands partis toujours au pouvoir. Mais surtout il propose un coupable à l’insatisfaction de la population. Il est plus facile à détester la pute, la mère qui demande des allocs, le gamin qui devient narcotrafiquant, le noir qui va à la fac grâce aux bourses, les homos qui affichent leur bonheur en public.

Comment détester un système qui donne du pouvoir d’achat pour une voiture, mais pas de l’éducation gratuite de qualité ? Ou comment détester un système qui se dit représentatif, mais qui est constitué seulement d’hommes, blancs, de plus de 50 ans, riches, hétérosexuels et qui disent savoir mieux que vous comment gérer le pays ? Comment détester un système tout court, sans passer pour un ado anarchiste ringard ?

C’est pour cette raison qu’un groupe de femmes a commencé la militance en ligne. Et en moins de trois semaines, le groupe Facebook « Mulheres unidas contra Bolsonaro » aujourd’hui dépasse 4 millions de personnes. Ce même groupe qui a été hacké par les militants du candidat et a été victime d’attaques qui essaient de le décrédibiliser en l’étiquetant « fake news » ou « fausses féministes ». Ce même groupe qui a reçu le soutien de plusieurs artistes au point d’attirer l’attention de Madonna, Cher et Stephen Fry. Ce même groupe qui a réussi à mettre en route le plus grand mouvement féministe de l’histoire du Brésil.

Les folles, les hystériques, les lesbiennes, les putes, les mères indignes…

Et c’est grâce à groupe de folles, hystériques, lesbiennes, putes, mères indignes, salopes, sorcières, feminazis, bref, de femmes, que l’on déplace le débat de la TVA ou la dette à quelque chose plus profondément implanté dans nos sociétés : ce machisme  ordinaire qui tue tous les jours. Cette violence quotidienne qui dicte la façon dont nous devons nous disposer de nos corps. Cette norme cachée qui hiérarchise les gens par la couleur de la peau. Ce ne sont plus des anecdotes dans le débat politique. Ca constitue la seule ouverture pour vraiment changer les choses.

Depuis toujours, on vous explique que c’est comme ça, on y peut rien. Et ben non. En canalisant la haine des gens sur des boucs émissaires, cher Bolsonaro, vous avez détourné l’Amazone sur votre petit aqueduc. Pour citer la chanteuse Pitty, il faut se rendre compte que les femmes ne vont plus retourner en cuisine, ni le noir dans la ‘senzala’, ni le gay dans le placard. Les espoirs sont libérés. 

Ele não, elas sim.