La galette de l’ennui
Parmi toutes les traditions mercantilo-religieuses, y en a t-il une plus absurde et plus désagréable que la galette des rois ? Pas encore remis des excès de la nouvelle année, nous voici contraints – le mot n’est pas trop fort – de nous empiffrer d’une indigeste frangipane. Et de trier discrètement dans la pâte pour réserver la fève au petit dernier qu’on fait passer sous la table. Le tout dans l’atmosphère ennuyeuse d’un rite suranné qui n’amuse plus personne, hors les gérants des boulangeries.
Du point de vue symbolique politique, il y a peut être un intérêt pirate pour la galette des rois. Après tout, le tirage au sort d’un représentant du peuple, c’est un procédé démocratique qui a des mérites, ainsi que l’a démontré l’initiative d’un parti comme Ma Voix . Mais le journal Voici nous apprend que la galette des rois présidentielle n’a pas de fève . Las ! sous la cinquième république, les dés seront toujours pipés…
Voilà Emmanuel Macron qui découpe une galette géante – au fait, on fait comment pour bouffer un truc pareil ? Que notre président jupitérien sacrifie à ce rituel à la veille d’une grande manifestation de gilets jaunes avait déjà de quoi provoquer quelques interrogations sur le sens de ses priorités. Mais le discours qui suivit devait les lever.
Pêle mêle il y fut question de cette baguette de pain bien de chez nous qu’on met dix ans à apprendre à cuire et de la jeunesse à qui il faut apprendre un métier – et à filer droit. Puis le président entra dans le dur, fustigeant ceux “de nos concitoyens [qui] pensent qu’on peut tout obtenir sans que cet effort soit apporté.” Alors qu’un bon boulanger se lève tôt, etc.
Sacrée pensée complexe ! On la croirait de la bouche d’un notaire de province dans un roman de Balzac. Laissons la critique de fond. D’autres que nous ont déjà rappelé que tenir des ronds points et braver les gaz lacrymogènes plutôt que de faire la grasse matinée le samedi matin, cela nécessite des efforts.
Ce qui nous interroge, c’est la ringardise assumée de l’intervention macronienne. Où est ce père de la start up nation qui se faisait prendre en photo devant la pyramide du Louvre, assumant une communication de pointe, teintée de mysticisme ? A t-on besoin d’avoir fait Normal Sup et d’avoir travaillé avec Paul Ricoeur pour disserter sur les valeurs traditionnelles de la baguette de pain ?
Un gendre idéal faisant la leçon à des adolescents laborieux dans le cadre désespérément vide de sens d’une galette des rois sans fève. Un président méprisant superbement les mouvements sociaux qui bouleversent la société depuis plusieurs semaines à grands renforts de sermons poussiéreux. On est peut être à un tournant majeur du quinquennat. Macron n’est plus Jupiter, président du ciel et du tonnerre. Il est Manu Premier, roi de l’ennui.