J’veux du soleil

On a beaucoup écrit sur le “J’veux du soleil”, le docu road-trip de François Ruffin et de Gilles Perret. A part à se cantonner à un exercice descriptif quasi clinique – parti pris étonnant et finalement assez méritoire du Figaro – il est évidemment tout à fait impossible de parler du film en faisant abstraction de ses propres opinions, sur les Gilets Jaunes et sur François Ruffin lui même. Cet article assumera donc une joyeuse subjectivité.

Notons d’abord que Ruffin parvient à créer de l’envie. Son reportage dans les coins oubliés de la France, ce voyage, ces rencontres, on brûlerait de les vivre. Qui nous en empêche, d’ailleurs, sauf notre paresse ? Six jours dans une voiture, c’est à portée. « J’veux du soleil » est un appel à se bouger, à rompre avec la fatalité du quotidien. Une démonstration que les choses sont possibles, très vite, à portée de main.

Ruffin, avec son lyrisme et son humour farceur, est présent à l’écran sans encombrer. Il cède l’essentiel de l’espace à ses rencontres, aux gilets jaunes des ronds points. Ce sont des successions d’interviews, de faces caméras où les gens se dévoilent, parlent de leurs souffrances et de leurs bonheurs. Visages et tranches de vie qu’on retrouve lors du générique. Les personnages, les héros, ce sont eux, les gens. Un des enjeux assumés de “J’veux du soleil” étant de contraster avec le style hyper-personnalisé de Macron, la réussite sur ce plan est indéniable.

Pointons ensuite des faiblesses. Pas tellement celles d’un argumentaire partial – on peut être solidaire des Gilets Jaunes, on ne peut pas nier que tous ne sont pas aussi sympathiques que ceux que Ruffin veut bien nous montrer – cela fait partie des règles du genre . Mais surtout le film a des béances. Ruffin ne traite pas des souffrances consécutives et surtout subies par le mouvement, qui est loin d’être simplement une fête de solidarité. Il ne parle pas des blessures et des brutalités terribles que subissent les gilets jaunes aux prises avec une répression policière féroce . Vouloir du soleil sous Macron, ça a un prix terrible. Et il est étonnant que Ruffin, pourtant peu suspect de complaisance envers le gouvernement, ait pratiquement passé sous silence l’infecte brutalité dont ce dernier se rend coupable.

Finissons par un détail qui n’en est pas un. Alors qu’il se gare sur le parking d’un hypermarché, Ruffin peste contre la laideur de l’endroit et prophétise une forme de révolution esthétique. Un peu plus loin, il rencontre des Gilets Jaunes qui ont érigé une fresque de l’un des leurs. Le visage réaliste de Marcel dont le jaune du gilet se prolonge en auréole. C’est techniquement correctement dessiné. Mais c’est aussi très naïf, franchement ringard et d’un goût assez douteux. Sur place, Ruffin discute avec les gilets jaunes et, plus prolixe que dans le reste de son film, disserte sur la fresque comme réappropriation de la beauté, de l’esthétique, par le peuple qui en est privé.

C’est sans doute le passage le plus maladroit de “J’veux du soleil” mais c’est aussi le plus personnel. Celui qui nous en apprend le plus sur qui est François Ruffin, étonnant personnage à la fois journaliste, homme politique et artiste talentueux. Qui revendique haut et fort les deux premières identités et pas du tout la troisième. Laquelle, refoulée, ressurgit inlassablement, sous forme de fulgurances ou de maladresses. Il faudra bien un jour ou l’autre que Ruffin accepte de lui laisser toute sa place.