Il est où le bonheur – François Ruffin

La production littéraire de François Ruffin ne faiblit pas et le rythme de publication du député-journaliste-militant-réalisateur laisse songeur : quelques mois après la sortie de son fort réussi documentaire sur les gilets jaunes, voilà “Il est où le bonheur” (sans point d’interrogation) un nouvel opus, consacré à la convergence des luttes sociales et écologiques.
Dans sa préface, Ruffin nous avertit : il méditait un ouvrage long et étayé mais l’accélération des événements avec, notamment, la naissance du mouvement Extinction Rebellion et surtout l’apparition sur la scène médiatique mondiale de la figure impressionnante de Greta Thunberg l’a contraint à accélérer le rythme. Mise en garde sérieuse : la lecture du livre laisse un arrière goût de trop peu, comme souvent avec un Ruffin qui se contraint à coller à l’actualité et ne se laisse pas toujours le temps et les moyens de déployer son incontestable talent.
Talent de narrateur, d’abord. À la lecture des récits des injustices d’aujourd’hui et d’hier, d’ici et d’ailleurs, Ruffin fait bouillonner le sang de son lecteur. Il a les mots justes pour rendre les chiffres humains et pour déshabiller l’hypocrisie de l’oligarchie. On n’apprend pas grand chose mais les faits sont mis en perspective et en histoire, ce qui n’est pas rien. L’argument central du livre apparaît alors comme une évidence : on ne peut pas attendre des riches qu’ils se mobilisent pour la protection de l’environnement car l’origine de leur pouvoir et leurs styles de vie sont à l’origine même du désastre écologique. Et ni les discours doucereux des hiérarques de LREM ni le greenwashing saupoudré par les grandes entreprises pollueuses n’y changeront rien.
De ce constat fermement étayé et argumenté, Ruffin tire un avertissement. Le mot “écologie” est en soi en danger. L’oligarchie entreprend de le vider de son sens pour qu’il ne soit pas l’étendard autour duquel pourraient se rassembler ses adversaires : militants des droits sociaux d’une part et militants environnementaux de l’autre. Cet appel à la convergence des luttes est au cœur du combat de François Ruffin qui sait que son succès ou son échec dépend aussi d’une bataille sur le plan des idées.
La dernière partie du livre, “La vie en vert” est plus surprenante : on y voit Ruffin glisser en logique vers une spiritualité qu’on ne lui avait pour l’heure pas encore connue, en tout cas sous cette forme. Transparaît sous le militant bouillonnant un homme en recherche d’harmonie et de connexions. Ruffin, qui n’a jamais cherché à masquer ses doutes, ses peurs ou ses faiblesses livre encore davantage de son intimité, de ce qui l’anime. Et c’est là sans doute ce qui en fait une plume unique dans le paysage littéraire et militant de notre époque : sa capacité à livrer un combat politique enragé tout en se dévoilant avec une extraordinaire générosité.
Manque enfin quelque chose et ça serait plus au Ruffin écrivain qu’au Ruffin militant de nous l’apporter : une vision d’un monde souhaitable. Se débarrasser de l’oligarchie, sauver l’environnement, oui mais pour aller où ? Vers quelle société ? Vers quel vivre ensemble ? Le style naturaliste de Ruffin est diablement efficace quand il décrit les réalités sociales. Peut-être pourrait-il s’en servir pour décrire ce que pourrait être concrètement un monde meilleur. Un monde pour lequel on aurait envie de se battre.