Depuis Kolbsheim

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Nicolas Falempin était présent sur la ZAD de Kolbsheim. Au delà du récit désabusé de l’expulsion, il nous livre ses réflexions sur l’idée même de Zone à Défendre.
Texte écrit le lundi 10 septembre.
Ca y est, la tant redoutée évacuation de la ZAD de Kolbsheim a eu lieu. Arrivée des gendarmes vers 5h, lancement des hostilités à 6h, évacuation des derniers réfractaires à 9h. Etait-ce évitable ? Oui, peut-être.
En l’occurrence, le concept même d’une ZAD à Kolbsheim était une aberration. Il ne s’agissait pas d’un bocage dont on expulsait quelques agriculteurs mais d’une bande de terre de 24 kilomètres constituée de champs, d’espaces naturels, de forêt, et qui appartenait à une multitude de propriétaires faiblement impactés – et très largement indemnisés. De ce fait, il n’y avait pas de soutien à attendre de la part des exploitants, contrairement à Nantes, et l’absence de terrain unifié rendait difficile la mise en place d’un territoire alternatif et de défense efficaces. De plus l’absence de zadistes ayant des projets concrets et pérennes sur le territoire – contrairement à ce qui a pu se passer au Larzac ou à Notre Dame des Landes – donnait l’image d’une ZAD illégitime et contraire à l’intérêt public.
La ZAD, ou plutôt le point d’accueil de Kolbsheim, puisqu’il ne s’agissait au fond que d’accueillir quelques personnes et d’organiser des événements militants, n’avait guère de défense. Les barricades érigées sur l’accès principal ont été contournées, faute d’ un périmètre défensif autour. La 2ème voie d’accès, qui traversait largement la forêt, n’était quant à elle même pas défendue.
Quand j’y ai passé la nuit, du 31 août au 1er septembre, alors que débutait la période où les travaux pouvaient commencer, il n’y avait pas de tour de garde. Tout aurait pu se finir il y a dix jours. Et ne parlons pas de la marche de samedi, pour laquelle les zadistes ont quitté la ZAD pour se joindre à nous. Avec un peu d’audace, Vinci et les gendarmes auraient pu occuper le terrain en leur absence.
Heureusement qu’ils ont joué franc jeu avec nous et sont venus aujourd’hui, comme ils nous le promettaient depuis plusieurs semaines.
Nous savions qu’ils arrivaient
Car nous savions qu’ils arrivaient ce matin, et qu’avons nous fait ? Moi pas grand chose en tous cas, je le reconnais, faute d’avoir su convaincre de résister autrement que par la recherche du compromis à l’alsacienne.
A en croire les vidéos, les manifestants n’avaient guère de protections, si ce n’est des masques anti-pollution. Pas de lunettes, pas de bouclier en mousse, pas d’armlock ou de chaîne. Tout le monde a marché.
Jusqu’au bout ils ont cru que les gaz lacrymogène et les charges des gendarmes mobiles, c’étaient pour les autres.
Jusqu’au bout ils ont cru que la promesse d’un recours juridique ferait reculer ceux qui nous ont pourtant depuis longtemps fait comprendre qu’ils font fi de la justice. Un recours peut suspendre un projet, jusqu’à ce qu’il reprenne plus tard, sous une autre forme. C’est une tactique valable, qui permet de temporiser et d’épuiser les partisans du projet, qui renoncent quand les bénéfices deviennent inférieurs aux gains espérés. Mais c’est une tactique qui ne peut être que complémentaire à une résistance déterminée et organisée.
Or, ici, point de résistance organisée. Quelques pneus, quelques planches, des militants pas entrainés à la résistance – faute de venir aux formations qui leur ont été proposées – et un matériel inexistant. L’état a joué la démonstration de force avec ses 500 GM, mais la plupart sont restés les bras croisés.
Des solutions existaient
Pourtant, des solutions existaient. Nous pouvions élaborer une stratégie de résistance adaptée au territoire où nous nous trouvions. Samedi 8 septembre, nous aurions pu profiter des tracteurs pour bloquer les autoroutes, pour détruire les bases de vie, arracher les grilles du palais du préfet. Nous aurions pu déverser la terre qu’ils mutilent aujourd’hui sur leurs routes et leurs places, reconquérir ce qu’ils ont envahi. Nous aurions pu nous enchaîner aux arbres, tels les bishnoïs dont nous avons repris le nom sans reprendre la détermination. Nous aurions pu envahir la CCI, la préfecture et la Dreal, les mettre à la rue en rendant ces lieux de changement climatique inexpugnables, en les neutralisant pour leur faire comprendre que la nature se défend. Nous aurions pu camper sous les logements de ceux qui nous ont expulsés pour rappeler à leurs voisins qu’ils côtoient des gens ignobles. Nous pouvions abattre les bâtiments de la Neustadt, qui sont plus jeunes que les arbres de Kolbsheim, et sont de moindre valeur patrimoniale. Nous pouvions inverser la logique, renverser les rôles, attirer les médias, indigner l’opinion, reprendre l’offensive.
Non, nous avons gesticulé avant l’arrivée des matraques. Et fui quand elles sont sorties de leurs fourreaux. 5000 personnes samedi, c’était un joli nombre. Nous pourrons nous en vanter longtemps sur l’autoroute des vacances…
Nicolas Falempin
P.S : Le tribunal administratif a suspendu ce vendredi 14 septembre l’arrêté autorisant la construction du viaduc de Kolbsheim. Cependant, les travaux de déboisement peuvent poursuivre.