De quoi l’ISSEP est-elle le nom ?

Marion Maréchal lors de l’inauguration de l’Issep, à Lyon, le 22 juin. LAURENT CIPRIANI / AP

On peut reprocher bien des choses à Marion Maréchal Lepen, mais  pas de manquer de créativité. En lançant à Lyon l’ISSEP, la jeune et probablement fausse retraitée de la vie politique réussit à se replacer au centre du jeu de l’extrême droite française qui n’a jamais été aussi ouvert. Sur la stratégie de l’ex-élue du Vaucluse, beaucoup de choses ont été écrites. Et puis gloser à l’infini sur le positionnement de Marion Maréchal Lepen, c’est y participer. Profitant de nos modestes connaissances de l’enseignement supérieur privé, nous nous intéresserons à l’école, en tant que telle. De quoi l’ISSEP est-elle le nom ?

Un programme détaillé mais aux objectifs fumeux

L’offre de formation se divise en deux items : les magistères, accessibles à BAC +3 et la formation continue. Le programme est assez détaillé. Dans les deux cas, une sorte de salade niçoise conservative-libérale et qui fait une belle place aux sciences sociales. Gestion de projet, communication, mais également droit, histoire, lettres, tout y passe, ainsi que des modules malodorants du style “Terrorisme et Djihadisme”. Patrick Louis, co-président de l’ISSEP, dans une interview à Lyon Mag parle d’un “science po de droite” mais la comparaison ne tient pas. Si Science Po se déploie sur un très large spectre académique, les nombreux masters proposés aux étudiants sont spécialisés et adaptés à des métiers déterminés. Rien à voir avec le saupoudrage de l’ISSEP.

Plus étonnant encore : l’absence spectaculaire de formations au numérique. Pour un établissement prétend “secouer le bazar” et positionner ses étudiants à la pointe des réalités du 21ème siècle, il y a là un véritable exploit. Chez “Bonny and Read” nous ne sommes pas technophiles béats et nous prenons très au sérieux les études qui conseillent de limiter les interactions avec les écrans pour les élèves du primaire. Mais à bac+4 et bac +5, ce positionnement est hasardeux.

Le diplôme de l’ISSEP n’est pas reconnu ni rattaché à un référentiel RNCP*. Difficile de comprendre vers quel avenir se prépare ses étudiants. Qu’en disent les entreprises ? C’est Gérault Verny, “ambassadeur des entreprises” de l’ISSEP et entrepreneur régional, qui s’y colle sur la page “partenaires” du site web  

Partenariats entreprise : un vacarme très discret

On pourrait malicieusement moquer l’emphase épico-libérale de Gérault Verny. “Etre entrepreneur, c’est se penser capable de changer le monde”. Tant de modestie émeut. Le fait est que les business school balancent toutes, sans rire, les mêmes discours héroïques et hallucinatoires depuis le milieu des années 80. A ce titre, le positionnement de l’ISSEP n’est en rien « disruptif ». Seule originalité, une incantation morale qui frise la schizophrénie : “Le monde de l’entreprise ne tolère pas la duperie puisque chaque décision entraîne une conséquence, bonne ou mauvaise, et la somme de ces décisions façonne le futur de l’entreprise.”. Gérault Verny, fils caché de Lancelot du Lac et de Bernard Tapie…

Par contre, pas une entreprise n’a accepté de coller son logo sur la page “Partenaires de l’ISSEP”. Le plus modeste des centres de formations en affiche toujours des dizaines, gage de sérieux et surtout d’employabilité des étudiants. La bénédiction appuyée d’un tonitruant Charles Beigbeder n’a pas incité grand monde à tenter l’aventure.  En tous cas, pas à l’afficher…

Alors, question aux futurs diplômés de l’ISSEP : si aucune entreprise n’a voulu cautionner officiellement l’ISSEP, quel effet produira la mention de cette formation sur votre CV lors d’un entretien d’embauche ?

Et le pognon dans tout ça ?

L’ISSEP est une école privée, sous forme associative. Les magistères coûtent 5590€ pour un peu plus de 500 heures de cours. A qui ne connaît pas les tarifs pratiqués, cela peut sembler cher. Mais dans l’univers de l’enseignement supérieur privé, on est clairement sur du low cost. L’école revendique, à date, 60 étudiants inscrits auxquels s’ajoutent 120 candidats à la formation continue à 1990 euros l’année. Le chiffre d’affaire global, même pour une année de lancement, est franchement fragile. Marion Maréchal explique que l’école est également financée par des dons. Les généreux contributeurs vont devoir l’être encore un bon moment avant que l’école vole de ses propres ailes.

D’autant que rien n’indique que l’ISSEP rogne les bouts de chandelles : les locaux sont situés dans le cossu deuxième arrondissement de Lyon et le loyer doit être conséquent. Et même si, comme on l’a vu, le positionnement pédagogique de l’école est brouillon, le conseil scientifique et les intervenants sont incontestablement capés : tout cela se paie.

Difficile de voir de rentabilité à court et moyen terme, ni de positionnement professionnel ou pédagogique franchement clair. Alors de quoi nous parle l’ISSEP ? Si le positionnement factuel de l’ISSEP nous échappe, l’analyse des formes et signes déployés sur son site web nous en apprendra peut être davantage.

Quand la forme fait fond

Le conseil scientifique de l’ISSEP : des hommes au masculin…

Cette page, nous a fait rire : https://www.issep.fr/les-membres/ . Douze hommes , âgés pour la plupart, au conseil scientifique de l’ISSEP et zéro femme. Même pour un établissement de droite extrême et conservatrice il fallait oser un pareil organigramme en 2018. L’ISSEP ou le retour d’un patriarcat dominant ? Malgré les apparences, ce n’est pas si simple…

La ville de Lyon baignant dans une lumière dorée…

Le terroir est revendiqué comme valeur. L’ISSEP se situe à Lyon, “capitale des Gaules” selon la terminologie diocésaine, nous rappelle t-on sur la page d’accueil du site web. Du coup, sur les photos, les bâtiments religieux ne sont jamais bien loin. Les racines chrétiennes, on s’en doutait, sont largement revendiquées. Ce n’est ni surprenant connaissant les convictions de Marion Maréchal, ni vraiment original, surtout à Lyon où l’enseignement catholique est demeuré très puissant. La spécificité est ailleurs…

Nul n’entre ici s’il ne sait manier le couteau à poissons…

Beaucoup plus étonnante la mention suivante “Notre école propose plusieurs activités afin de transmettre à nos étudiants les richesses du savoir vivre et du savoir- être à la française.” accompagnée de la photo d’une très belle jeune femme, élégamment vêtue et maquillée, en train de déguster on ne sait pas trop quoi mais avec une distinction indéniable. L’ISSEP, école des entrepreneurs nationalistes et de leurs épouses aux manières bourgeoises, sexy et raffinées ? Au croisement d’HEC et des guides de savoir vivre de Nadine de Rostchild ? Cette fois, nous tenons une piste…

Une histoire d’or

S’il est un signe graphique qui domine l’ensemble de ce qui est donné à voir sur le site web de l’ISSEP, c’est la couleur or. Un or subtil, d’ailleurs, convenons en. Massivement présent, il évite les pièges du roccoco ou du putassier. Un or, cependant, omniprésent.

La page d’accueil du site de l’ISSEP : une histoire d’or

De l’or dans le logo orné d’un très étonnant frontispice de temple grec et dont la typographie fait penser aux marques de luxe old school. De l’or dans les titres et au survol de la navigation du menu. De l’or appliqué en filtre sur les photographies de la ville de Lyon et qui vous transporte dans un univers utopique de luxe et de raffinement. Pas une page du site web de l’ISSEP qui ne soit massivement dorée.

Et cet c’est surtout celui de la chevelure de Marion Maréchal Lepen, sa marque distinctive, sa blondeur, son étendard. Marion, la seule jeune femme dans une école exclusivement staffée de vieux mâles et dont on ne doute pas un instant qu’elle sache les mener à la baguette. Marion Maréchal, à la longue coiffe irréprochablement apprêtée et dont la distinction tranche puissamment avec la vulgarité de sa tante et de son grand père. Cet or qui est partout, c’est elle.

Photo du profil Twitter de Marion Maréchal Lepen : ça décoiffe.

Elle est la reine de la ruche, discrète, omniprésente, omnipotente. Tout tourne pour elle, par elle et ainsi tout s’explique : l’ISSEP est une école des fans, musique horrible en moins, idéologie affreuse en plus. Vient s’y former une jeunesse qui n’aspire pas seulement à servir Marion Maréchal Lepen mais à devenir Marion Maréchal Lepen. L’ex députée n’est pas juste un leader ou une égérie : c’est un programme d’éducation à elle toute seule.

La première promotion sera diplômée en 2020. Rendez-vous à cette date là pour voir le résultat.

 

*RNCP : le Répertoire National des Certifications Professionnelles valide officiellement l’adéquation d’une formation avec un métier identifié.