Chartes du numérique : encore raté !
Un été footballistique n’est pas la meilleure période pour aborder des sujets sérieux. Aussi, c’est dans une indifférence médiatique complète qu’ont été déposés six projets de chartes du numérique destinées à, potentiellement, être intégrées à la constitution :
- celle de LREM 2
- celle de Philippe Latombe (Modem) 2
- celle des socialistes 2
- celle de Delphine Batho 2
- celle des communistes 1
- celle de la FI 1
Nous allons pour une fois nous abstenir de critiques et nous contenter d’analyser et de résumer les différentes propositions :
LREM / Modem : aucune différence
A une vague différence de formulation près, il n’est très difficile de comprendre en quoi la proposition du Modem et de LREM se se distinguent. Toutes deux couvrent de façon assez générique et consensuelle les questions de droit d’accès et de neutralité, de protection des données, de liberté d’expression et d’ éducation avec également une réflexion sur l’utilisation des données publiques (opendata).
On pourrait moquer des textes tièdes. Le fait est que si cette charte était intégrée à la Constitution, il y aurait un vrai progrès en terme de libertés numérique en France.
Parti Socialiste
La charte du Parti Socialiste est très similaire aux deux premières avec en plus, c’est notable, une affirmation du concept d’intérêt collectif.
Delphine Batho
L’ex élue PS et désormais patronne de Génération Ecologie signe un texte assez différent, plus lacunaire que les précédents mais également plus original. C’est le seul des six qui ne mentionne pas la neutralité d’internet. Exit aussi la question du droit à l’éducation.
Par contre, Delphine Batho introduit la notion de bien commun, bien plus forte que le seul “intérêt” de ses ex-camarades. Elle introduit, par contre, les questions de l’universalité du réseau et de l’intelligence collective ainsi qu’une vraie réflexion sur les données. Elle s’interroge également sur la question sensible de la souveraineté nationale sur les données.
Parti Communiste
La proposition des communistes reprend les points cités plus haut avec un accent plus prononcé sur l’intérêt collectif. Originalité intéressante : la proposition de graver dans le marbre l’alternative aux procédures dématérialisées.
France Insoumise
La proposition France Insoumise est la plus détaillée avec 11 articles. C’est une force et une faiblesse : les chartes doivent être brèves et les principes doivent être généraux pour pouvoir être intégrés à la constitution et évoluer au fil du temps. A ce titre, faire référence par exemple à la netiquette ne paraît pas forcément pertinent.
Par contre, la France Insoumise pose la question fondamentale du handicap dans le rapport au numérique. Comme Delphine Batho, elle réfléchit en terme de souveraineté nationale. Le droit à l’oubli ou la transparence des algorithmes sont également abordés. L’article 11 grave dans le marbre la stricte subordination des intelligences artificielles aux êtres humains. Signe des temps : ce qui serait passé il y a quelques années pour un gag d’amateur de science fiction ne prête plus du tout à rire en 2018.
Un coup de consensus dans l’eau
Il est à noter que des forces politiques franchement opposées ont abouti à des textes différents mais qui ne présentent pas d’incompatibilité majeure. On note même une véritable communauté de valeurs : les différences entre LREM à un extrême et la France Insoumise à l’autre sont globalement limitées.
Allions nous assister à un moment magique, celui où des forces politiques adversaires savent dépasser leurs différences pour aboutir à un texte commun, dans l’intérêt exclusif de la nation ? Dans le feu des débats, le tonitruant Jean Luc Mélenchon dont la souplesse n’est pourtant pas la qualité première a laissé entendre qu’il était prêt à voter la proposition du Modem, la plus consensuelle. Alors, on y croit ? Et bien non, pas encore pour cette fois ci. Caramba, encore raté !
Ce compte rendu des débats en témoigne ( http://www.assemblee-nationale.fr/15/cri/2017-2018-extra/20181009.asp#P1363828 ) : la discussion s’est engluée dans des arguties juridiques et dans des considérations tactiques sur le bien fondé d’introduire une charte numérique dans la Constitution. Sous la pression du gouvernement et de Richard Ferrand, LREM a retiré son amendement et les autres ont été rejetés. L’été 2018 sera celui du foot, de la canicule et d’Alexandre Benalla. Il ne sera pas celui de la charte du numérique.