Cerbère Médiatique
Quand il ne parvient plus à comprendre le monde où on vit , l’humaniste éclairé va chercher des clés de sens dans les mythes anciens. La stupéfiante semaine médiatique que nous venons de vivre nous impose une image : celle de cerbère, le monstrueux chien de garde des enfers. En 2019, l’oligarchie médiatique l’a tiré des ténèbres et l’a placé devant les portes de l’Olympe pour dépecer les adversaires de notre jupitérien président.
Première tête, celle de l’inoxydable David Pujadas qui a présenté une émission délirante et brillament analysée par Arrêt sur Image . Ses invités versent dans un complotisme de mauvais téléfilm en fantasmant une Organisation des Nations Unies manipulée par un complot Mélenchono-chaviste. Cela sans s’attirer la moindre remarque de la part d’un journaliste supposé réagir quand ses invités ont aussi manifestement sauté les plombs. Cela sous le regard impassible et bienveillant du maître de cérémonie. Cela, plutôt que de considérer un seul instant que le fait que l’Etat français mutile presque chaque semaine des citoyens pour les faire rentrer dans le rang puisse poser problème à l’ONU.
Apathie, deuxième tête, a été bien plus direct. D’un tweet il rabaisse Michèle Bachelet – ex présidente du Chili, torturée sous Pinochet – au rang de sous secrétaire qui s’ennuie. On a connu journalisme plus précis et factuel… On le revoit, lors de l’émission C l’hebdo aboyer sur Monique Charlot-Pinçon, auteur du “président des ultra-riches” pour l’empêcher de développer un discours critique sur l’état de la liberté de presse en France . Que ladite liberté de presse soit plutôt mal classée selon les critères internationaux, cela n’a pas frappé Apathie et doit participer du même complot bolchévique mondial que celui où trempe Michèle Bachelet. Mais qu’importe ! Après une séquence de mansplaining d’une grossièreté assumée, C l’hebdo finit par couper son invitée au montage. Cest quand même plus simple.
Troisième avatar : ce n’est pas sans une certaine terreur qu’on apprend que BHL se lance dans une tournée théâtrale européenne. “Looking for Europe” , une pièce monologue d’une heure trente, un long cri de haine contre les ennemis du président. La vidéo de LCI nous montre le dandy septuagénaire nonchalamment affalé sur un pouf en noir et blanc déblatérer un chapelet de platitudes mensongères et insultantes à peine relevées de quelques idiomes sorbonnards. Et le philosophe au décolleté plongeant de déambuler devant une fresque au symbolisme lourdingue tout en chargeant copieusement les adversaires d’Emmanuel Macron. Au théâtre, l’avantage, c’est qu’on a pas besoin de s’embêter avec des gens qui vous répondent. BHL blablate tout seul.
Trois hommes blancs et riches, trois hommes omniprésents dans les médias depuis des décennies, trois gardiens implacables du système. Le gendre idéal, souriant et hypocrite, le beauf vulgaire à l’accent méridional et le cuistre parisien à l’ego démesuré. Les trois visages monstrueux de l’oligarchie médiatique, douce et complaisante avec le pouvoir, féroce et outrancière contre le peuple. C’est ce cerbère qui sème le doute et participe à discréditer l’ensemble du travail de bien des journalistes qui ont à coeur de servir autre chose que les intérêts du pouvoir. Les échos de la colère à peine assourdie des dernières semaines devraient pourtant résonner encore à leurs oreilles comme une mise en garde.