Ce pays que tu ne connais pas

Je n’avais pas prévu d’acheter et de lire ce livre que François Ruffin a publié aux éditions Les Arênes. Grand admirateur de “Merci Patron”, je n’ai jamais retrouvé sous la plume du député reporter la fougue et la créativité qui a fait son succès comme cinéaste. Et je me méfie en général des livres des hommes politiques : ils sont souvent écrits un peu trop vite, tant leurs auteurs sont pressés de coller avec l’actualité.

Mais Twitter s’est mis à bruisser. Le fan club de Ruffin porte l’ouvrage au pinacle. Celui de Macron le voue aux gémonies. Le lourdingue BHL se paie un point Godwin   pendant qu’Alain Minc pète littéralement un câble . Tout ceci excite ma curiosité.

La double photo de la quatrième de couverture donne l’axe du livre et celui ci est plutôt séduisant : Macron et Ruffin ont fréquenté le même lycée. Puis, ils ont divergé. Ruffin fait le portrait du président – et le rhabille pour l’hiver; en parallèle il se décrit, lui et ses combats. L’un est le miroir diamétralement opposé de l’autre et vice-versa. “Ce pays que tu ne connais pas” est un livre de combat. Il est manichéen et il l’assume : le gentil François Ruffin contre le méchant et puissant Emmanuel Macron.

Puissant, le président l’est, assurément. Puissant par sa fonction, bien sûr mais avant et sans doute aussi après celle ci, puissant par l’entrelac immense des liens qu’il a su nouer avec les grands de ce monde. Par sa capacité à fédérer les omnipotents maîtres des médias et de la finance et à rendre et recevoir les plus précieux services.

En face, le reporter “voix des sans voix” paraît bien fragile. Rufin écrit ses meilleures pages quand il décrit les quotidiens de misère des exclus et des “perdants de la mondialisation”. Alors sa plume naturaliste touche souvent juste.

Mais on touche là les limites du livre, dont, d’ailleurs, Rufin a pleinement conscience “Il faudrait un Balzac pour vous dépeindre durant ces années là.” Sauf qu’un Balzac, il n’y en a pas. En face des réalités de la France oubliée, Rufin ne fait pas grand chose de plus que de commenter la presse people et/ou financière, sans s’autoriser de liberté narrative particulière. Alors qu’il expose ses doutes et ses fragilités personnelles – Rufin n’est pas mauvais autobiographe –  il ne parvient pas à esquisser de portrait psychologique un peu consistant d’Emmanuel Macron. Rien au delà de l’image lisse et fade que le président renvoie de lui même.

Le fait est , c’est tout de même embêtant, que ce livre n’apprend pas grand chose à un lecteur un peu au fait de l’actualité politique. Il ne développe pas non plus de thèse particulièrement nouvelle ou intéressante. On reste même un peu sur sa faim avec une question lancinante : au fait, pourquoi tant de haine ? Pourquoi détester plus Macron que Hollande ou Sarkozy ? Ou que Philippe, ou que Castaner, ou que Ferrand ?

Et puis la haine, ne faudrait-il pas la transformer en quelque chose d’autre ? Quand Rufin s’est payé Bernard Arnault, il a su changer sa détestation du personnage en une arme étonnante et produire une oeuvre d’une exceptionnelle efficacité. Ce  n’est pas Balzac qui nous manque, mais Molière. Et peut être que Rufin devrait lâcher un peu le journalisme pour ressusciter les fantastiques talents de clown qui l’ont propulsé sur les devants de la scène médiatique. Et se payer, de façon drôle et sanglante, la fiole du brutal oligarque au visage poupin que le système nous a imposé pour président.