Quoi de neuf dans le domaine de droit d’auteur ?

Au début cela devrait être une bonne idée, idée qui par ailleurs reste bonne. Quoi de plus normal pour un créateur de vivre de ses oeuvres, de pouvoir disposer d’un revenu qui lui permettra d’en produire de nouvelles ? Pour ce faire, à la fin du XVIII un certain Beaumarchais oeuvra pour élaborer un des premiers systèmes de droits d’auteur. Le concept est simple, un monopole d’exploitation des oeuvres est garanti à son auteur. Monopole que tout utilisateur doit rétribuer si une oeuvre est jouée en public, ou utilisée à des fins commerciales.

Or les artistes n’ont pas nécessairement l’envie, le temps, ou la possibilité matérielle de récolter les sommes que les exploitants d’oeuvres leur doivent. Des sociétés d’auteurs ont été alors fondées pour assurer ces collectes. Et puis, il faut bien se l’avouer, dans un tel système, elles sont profondément nécessaires. Une grosse radio, chaîne de télévision sera toujours en position de force face à un petit auteur.

Depuis 1777 ces sociétés perdurent. D’abord, tournées vers le livre, l’évolution technique leur a ouvert le champ du disque, de la télé, du streaming sur le web. Toujours est-il que le quidam ne sait pas toujours que des droits d’auteurs existent, et qu’il en paie. Et quand il en a connaissance, il est la plupart du temps persuadé que cela finance le créateur.

Ah bon ça doit financer la création ?

Qu’en est-il réellement ? Cette collecte de droits s’apparente à une taxe, la Cour des Comptes a donc le droit d’inspecter ces sociétés de perception et de répartition des droits ( dites SPDR). Les fameuses SACEM, SACD ou autres… La Cour sort un rapport de quelque centaine de pages. On vous propose donc aujourd’hui, un petit florilège des pépites qu’il contient.

La plupart des citations concernent la SACEM. Toutes les situations ne doivent pas être équivalentes ou généralisables, mais cela peut donner un aperçu des dérives d’un système qui d’une bonne idée se tourne progressivement vers la protection d’une rente.

 De la création à la rente de quelques happy-few

Au détour d’un paragraphe, on apprend qu’annuellement,80% des bénéficiaires de droits reçoivent des sommes inférieures à 1000€ alors qu’une centaine de personnes récolte 60 à 80 % des droits (page 26 [1]). Heureusement que tous les créatifs ne sont pas en attente de leur chèque de leurs droits pour écrire, chanter ou danser… Bref, la majorité de la création artistique ne peut pas être, dans ces conditions, financées par des droits d’auteur.

Alors vous nous direz, c’est peut-être que le système de répartition est mal conçu ? Mais comment cela pourrait-il être possible – les SPDR ne seraient-elles pas là pour concevoir un système équitable, transparent, conscient qu’elles manipulent de l’argent public ?

Pensez-vous… Déjà, pour la SACEM, toutes les règles de répartitions ne sont pas formalisées (p.126 [2]). On profite de la rénovation du logiciel permettant de calculer tout cela pour le faire. Les anciennes doivent être perdues au fond du code de l’ancienne chaîne informatique. Les algorithmes ont bon dos…

Mais, ces règles ne sortent pas toutes seules ? Quelqu’un est bien payé pour les concevoir… On ne sait pas ce qu’il en était pour les anciennes, mais les nouvelles sont validées par le conseil d’administration de la SACEM (page 85 [2]). La SACEM souhaite un conseil constitué de professionnels vivants de leur droit – cela est parfaitement légitime. Cependant, quand seul 1,60% des membres peuvent postuler au Conseil d’Administration qui valide les règles de redistribution des 98,40% autres, on se dit bien qu’il y a un petit problème de représentativité. On assiste là à un fonctionnement bien français, qui consiste à passer quelque part, et fermer la porte derrière soi pour éviter que d’autres n’entrent.

Chose assez rare ? pour le dire, l’Union Europééenne a mis le hola à ces pratiques verrouillées. Suite à l’intégration dans le droit français de la directive sur le droit d’auteur, les prochaines règles de répartition se voteront en AG (p. 88 [2]). La Cour espère que cette même directive permettra aux petits de mieux en profiter.[p. 26 1] Il faut donc attendre que l’Europe vienne pour réformer un tant soit peu… Une pierre dans le jardin des souverainistes qui se réfugieront dans la belle exception culturelle française. Quand ça profite aux petits, un tiers qui by-passe le personnel politique ne fait pas toujours du mal.

Et sinon, le pognon on en fait quoi ?

On pourrait aussi de poser la question de ce qui est fait de l’argent récolté ? Est-ce qu’il est bien réparti ? De manière efficace ? Sans perte en ligne ?

Chose surprenante, dans la moyenne des sociétés qui récoltent les droits, 40% des sommes ne sont pas redistribuées (p8 [1]). Le ratio de droits répartis sur droits perdus est de 60% en moyenne… Pour la SACEM, il s’agit notamment de droits payés par les exploitants, mais dont on n’a pas été capables de retrouver leurs propriétaires… Pour tout plein de raisons techniques… Comme le titre de la chanson était mal renseigné dans la feuille Excel envoyée par la radio amateur du coin… Ces sommes sont donc stockées pendant cinq ans et si elles ne sont pas réclamées, elles sont reversées au compte de gestion. [4].

On a pas eu le temps de fouiller les autres statuts, mais les irrépartissables doivent bien atterrir sur ces comptes pour les autres SRPD. Mais là où ça devient ubuesque, c’est que la Cour des Comptes estime que la transparence de gestion n’y est pas. Les systèmes de comptabilités analytiques n’existent pas !(p. 51 [2]). Certaines SRPD ne peuvent même pas estimer leurs charges de gestion…

Ce qui est magique, c’est que cet argent pourrait être assimilé à un impôt… La loi devrait prévoir qu’il soit entièrement redistribué aux artistes soit par des aides, soit au ministère de la Culture… mais non, on assiste bien à une privatisation d’une rente… De là à dire que les sociétés d’auteurs piratent l’argent public…

[1] Synthèse du rapport de la Cour des Comptes – https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/20170504-synthese-rapport-annuel-2017SPRD.pdf
[2] Rapport Complet – https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/20170504-rapport-annuel-2017SPRD.pdf
[3] Statuts de la SACEM – https://createurs-editeurs.sacem.fr/brochures-documents/statuts-et-reglement-general-de-la-sacem–2017